Faire de la passion qui animait ses après-midis d’enfance le moteur de sa carrière professionnelle, c’est ce que nous conte Christophe Deshayes, Président Europe chez Renault Trucks. Il détaille avec enthousiasme son évolution dans cet environnement particulier qu’est l’automobile et le poids lourd français, entre prises de risques et confiance au travail.

 

Chapitre 1 : Une entrée dans le monde professionnel facilitée par l’alternance…

 

« Je savais où je voulais aller à 10 ans ». Christophe Deshayes avait une passion et voulait en faire son métier. Alors que son père intervenait sur la partie industrielle de l’ancêtre de Renault Trucks, « Renault Véhicules Industriels », Christophe, lui, avait cet attrait pour la vente et les relations humaines. Après un BTS, il intègre l’EM Grenoble en alternance. Alors encore peu populaire et répandue, l’opportunité d’effectuer ses années d’école de commerce en alternance été clé dans la structuration de sa carrière professionnelle. Il travaillait en concession, sur une majorité des activités commerciales de l’entreprise.

 

Il découvre alors la prospection, le marketing, la vente et intervient même sur la transition digitale auxquels les salariés faisaient face, à l’aune du développement de l’ordinateur portable. « Il était nécessaire d’accompagner les moins habiles pour conserver leurs compétences propres et franchir ce gap culturel, intellectuel et technologique ». Cela paraîtra très lointain pour certains d’entre nous et beaucoup moins pour d’autres, et c’est d’ailleurs une question encore éminemment actuelle avec la brulant déchainement de l’intelligence artificielle.

 

Chapitre 2 : …Dans une entreprise en difficulté

 

Tout n’était cependant pas rose puisque la société faisait face à des difficultés financières. Celle-ci avait racheté un concessionnaire en dépôt de bilan. A peine âgé de 20 ans, Christophe observe et participe à un problème courant en fusion des entreprises : concilier les parties. Nouvelles méthodes managériales, de prise de décisions, de gestion, tout était à refaire. Un processus complexe puisqu’il faut adapter les cultures d’entreprises sans pour autant perdre les savoirs faires.

 

Il apprend comment accompagner le personnel dans une restructuration, face aux licenciements et aux postes supprimés. Tout jeune, il comprend que la vie en entreprise n’est pas un long fleuve tranquille, et à la confiance au travail comme pilier. Son service militaire l’attendait en fin d’alternance et un rendez-vous avec le DRH était nécessaire pour évoquer l’après. La réponse de Christophe est claire : « Je veux vendre des camions ».

 

Chapitre 3 : Un plan de carrière qui se devait de commencer par la vente

 

Il fallait prendre quelques années pour cerner le marché dans sa globalité, notamment la partie commerciale. Christophe avait préalablement établi cette période comme temporaire. Commencer par la base, étapes par étapes, pour gravir les échelons. Christophe avait aperçu plusieurs fois le directeur de la concession lors de ses années d’alternance et cette position ne le laissait pas indifférent. Il appuie l’importance de prendre le temps, une notion transversale tout au long de l’échange. Ses premières expériences de ventes lui permettent de poser les fondations du fonctionnement de la relation client.

 

« Ne pas vendre et argumenter sur son produit avant d’avoir compris ce que le client recherchait ». L’achat d’un camion représente en effet un investissement important pour les entreprises. Le cycle de vente d’un tel engin est particulièrement long et a ses exigences. Premièrement, le client n’est que très peu souvent prédisposé à acheter. Il faut donc comprendre son business model, connaitre la place du camion dans celui-ci et dans quelles mesures il est essentiel, ou non. En laissant une place au client, c’est déjà un premier pas vers la signature et cela permet de bien mieux fonder ses arguments. D’autant plus qu’auparavant toujours dans la région lyonnaise, Christophe opérait maintenant sur Bordeaux.

 

Il eut depuis quelques années un gros turnover au même poste. Un gros travail de fond était donc à faire avec les acteurs de la région, en perte de confiance vis-à-vis de l’entreprise et de ses multiples commerciaux à répétition. Ses débuts n’ont pas été très concluants, et il en était bien conscient. Un commercial est souvent seul et ses échecs inévitablement personnels. Seul et donc également éloigné de la spirale sociale de l’entreprise.

 

Il ne partageait pas cette vie commune avec les autres salariés. Le café avec un collègue d’un autre service peut paraître anodin mais parfois clé dans l’évolution en entreprise. Il arrive fréquemment qu’aujourd’hui, avant les compétences, on regarde votre capacité de socialisation dans le cercle des employés et votre ralliement à la culture de la boîte. Par ailleurs, la pression qu’il essuyait était malsaine ce qui pouvait le précipiter dans ses choix et le faire réfléchir à trop court termes. Christophe estime qu’à cet âge, il faut donner les moyens et le temps de réussir, tout en réussissant à challenger. Un jeune de 22 ans n’est pas forcément prêt à allouer tout ce temps de labour, bien que nécessaire. Il ajoutera que la prise de recul est obligatoire face aux échecs mais pas forcément naturelle pour tous. On lui mettait la pression avec pour but de lui faire sentir d’y aller à grands pas. Un type de management qu’il n’a finalement jamais vraiment apprécié.

 

Chapitre 4 : Des premières réussites qui l’amènent vers le management d’équipe et de concessions

 

En somme, l’intégration se fait peu à peu, et Christophe commence à devenir « un bon vendeur ». Il réussit à développer un tout nouveau fichier client, qui n’avait encore jamais acheté chez Renault Trucks. Il prend en confiance, se rassure, et forge sa place.

 

Quelques années plus tard, après avoir posé les premières fondations de son plan, il se positionne sur le développement de la performance des concessions Renault Trucks. Il s’occupe de 21 filiales et c’est un poste qui le contraint de comprendre et maitriser les mécanismes budgétaires, de leviers, de ratios financiers. Il a maintenant 26 ans, et peut analyser très rapidement la situation économique et financière d’une concession en un temps réduit. Lorsque le siège manquait de directeur sur une concession, Christophe occupait le poste par intérim. Une sorte de patron provisoire. C’était un exercice d’adaptation permanente puisqu’il fallait non plus gérer 5 ou 6 managers sur Lyon mais une centaine de salariés dans différentes régions et sur une période de quelques mois. Le tout avec l’avantage de ne pas prendre trop de risques grâce à sa position, par définition, temporaire. C’est là qu’il commence réellement à apprendre la gestion du personnel et de la confiance mutuelle.

 

De cette confiance dépend, au moins en partie, l’engagement au travail, l’efficacité́ collective et le bien-être des acteurs. De même que l’intérêt pour l’autre. Il nous explique l’effet miroir du don de soi en management. Prendre le temps de connaître les équipes, instaurer de la bienveillance, permet la stimulation de toute l’équipe et l’autonomie de chacun. « Un individu est rarement malsain et, très régulièrement, rend lorsqu’on lui a donné ne serait-ce qu’une fois. » Instaurer les conditions d’un travail en confiance devrait apparaître, pour ces raisons, comme un idéal à poursuivre dans les entreprises. « Et quand on fait tout pour que ça marche, mais que ça ne marche pas. Que faire ? » Globalement, même la rupture se voit facilitée quand ce travail préalable a été effectué. Le salarié se rend d’ailleurs souvent compte de la situation conflictuelle et va dans le sens de cette rupture. Le temps passant, Renault Trucks fait une proposition à Christophe de récupérer la direction de succursales néerlandaises. Il refusera pour un autre poste en Normandie, à la tête d’une PME et 150 salariés à gérer.

 

Chapitre 5 : « Patron à 29 ans, ce n’est pas si facile »

 

Son arrivée dans la direction normande nous permet d’aborder une nouvelle fois la question du temps. Pour le développement des relations, son rapport était clair : prendre le temps. En revanche, son avis est tout autre lorsque qu’il s’agit des responsabilités et de la prise de décision en entreprise. L’âge ne doit pas être un facteur déterminant et il faut donner des chances pour l’évolution. Cette opinion est peut-être influencée par son vécu mais elle à le mérite d’être exprimée. Car, pour sûr, la jeunesse est porteuse de ressources.

 

Par son expérience intérimaire, il pensait détenir une recette magique pour le développement de la performance des concessions. Seulement, il comprend très vite qu’il valait mieux cuisiner sans mesures. « Donner du sens à l’équipe, faire comprendre pourquoi on fait ça, pourquoi on y va, quels risques si on ne le fait pas. » Cette recette a été conçue pour démultiplier l’engagement et la créativité des salariés. Il explique que la prise de risque, lorsqu’elle est justifiée, est un joyau pour l’entreprise. « S’il rate, ce n’est pas grave s’il l’a fait pour la bonne raison. » C’est pourquoi laisser la parole et la place aux explications est plus que capital pour le développement de l’esprit d’équipe et de la prise d’initiatives.

 

Christophe nous offre une anecdote à ce sujet. Lorsqu’il est arrivé, on lui a confié la mission de licencier un commercial qui avait fait une faute. Il l’invite alors à un entretien pour comprendre les raisons de ses décisions. Pas de doutes, il avait fauté, et bien fauté. Mais c’était un cas isolé et il le faisait dans l’intérêt certain de la société. Christophe en a conclu qu’il fallait le garder, malgré les directives. Aujourd’hui c’est ce même commercial qui est à la tête du service des ventes et ils en rigolent encore. Cela nous permet d’affirmer que l’on donne de la valeur à l’entreprise par les initiatives, même mauvaises.

 

Chapitre 6 : Gérer des Hommes en Europe : un tout nouveau travail

 

« Il n’y a pas besoin de savoir parler un anglais shakespearien pour évoluer à l’international. » Christophe accepte la proposition néerlandaise quelques années plus tard et découvre un tout autre management que celui qu’il expérimente depuis 20 ans. Premièrement, le statut de la société n’est pas le même. En France, Renault a sa place, en Europe, les parts de marchés sont bien moindres. La posture et les arguments commerciaux sont donc complètement changés. Mais c’est dans l’opérationnel qu’il apprend une nouvelle manière de gérer. Aux Pays-Bas, il y a une culture du feedback. Très directs, peu importe leur nature. Là où en France, nous prenons beaucoup plus de pincettes. Ébloui devant l’efficacité des prises de décisions, s’ajoute à cela une seconde force : le consensus. Le patron n’a pas le devoir de décider mais de rechercher le consensus.

 

La discussion est maître dans le verdict final. Le processus est forcément un peu plus long, car il faut prendre en compte presque toutes les parties intervenantes, mais une fois votée la décision est presque immuable. Il reviendra finalement à Marseille pour quelques années, et après un marché régional remis sur pied, en atteignant les 50% de parts de marché, il se voit finalement nommé Président Europe de Renault Trucks. Un nouveau défi pour la seconde partie de sa carrière : 40 pays à développer, conditionnant la pérennité de la marque.

 

Par le long parcours de Christophe Deshayes au sein de Renault Trucks nous comprenons finalement que le travail est rarement, sinon jamais, une affaire strictement individuelle.

 

 

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Épisode 02 : Christophe Deshayes

 

Dans ce deuxième épisode, le président Europe de Renault Trucks nous raconte comment il est devenu petit à petit manager.

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Épisode 01 : Christophe Deshayes

 

Christophe Deshayes, Président Europe de Renault Trucks, a accepté de nous raconter son parcours. Dans cet épisode, il évoque ses débuts chez Renault Trucks, de l’alternance à son premier poste de commercial, et partage des enseignements et anecdotes marquantes dans un échange passionnant. travaillons avec les patients.